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20/05/2012

Admirateur de Freud, mais admirateur critique

Admirateur de Freud, mais admirateur critique

 

 

Par rapport à Freud, mon point de vue est celui d’un admirateur critique.

Admirateur, parce que je le considère comme un génie dans le domaine de la psychopathologie et de la psychanalyse, en raison de toutes ses découvertes, la sexualité infantile, les névroses, la paranoïa (Le Cas Schreber), les rêves, la psychopathologie de la vie quotidienne, etc.

Pourquoi critique ? Puisque je ne suis pas moi-même psychanalyste, j’admets que je ne suis pas nécessairement compétent dans le domaine clinique. Mais, puisque je me présente plutôt comme un psychologue de la création littéraire et artistique, c’est de ce point de vue-là en particulier que je considère et examine l’œuvre de Freud. Il se trouve que je suis loin d’être d’accord avec toutes les formulations et toutes les affirmations de ce dernier dans le domaine qui m’occupe.

Dans sa préface à Un Souvenir d’Enfance de Léonard de Vinci, Pontalis écrit :

« Quelle joie ce dut être pour Freud de mettre la main sur ce souvenir, joie qui alla, j’y viendrai tout à l’heure, jusqu’à lui brouiller la vue ! »

Plus loin, Pontalis écrit encore à propos de l’essai de Freud :

« On en vient à se demander ce qui fut d’abord salué comme un « tour de force » n’était pas un exercice d’illusionniste victime de sa propre illusion. » (Voir à ce sujet les numéros 177 (pages 33 et 34 en particulier), 181 et 185 de La Petite Revue de l’Indiscipline, ou les extraits qui sont donnés sur ce blog dans Freud et la conquête de la biographie et Freud et Léonard de Vinci).

Si nous admettons, avec Jensen lui-même, que Freud a bien compris, « dans l’ensemble et pour tout l’essentiel », les intentions exprimées dans Gradiva, il n’en va pas exactement de même sur tous les points, et en particulier sur certains points que Jensen semble considérer comme secondaires. Nous examinons les questions relatives aux désaccords partiels entre Freud et le romancier dans Freud et la Gradiva de Jensen (entre le psychanalyste et le romancier, des désaccords de détail ?), dont une petite partie seulement a, jusqu’à présent, été publiée dans notre numéro 189.

De manière générale, nous avons analysé et critiqué les affirmations de Freud au sujet de la création littéraire et artistique dans Qu’est-ce que le don artistique ? (notre numéro 173) et dans Freud, le créateur littéraire et la rêverie (notre numéro 177). Voir aussi les quelques extraits de ces essais et d’autres articles, donnés sur ce blog.

Il nous semble en outre que lorsqu’il sort du domaine de la clinique, Freud se livre parfois, de manière excessive, à son démon de la spéculation et à sa manie des hypothèses. Nous avons examiné et critiqué, de ce point de vue, le sixième chapitre d’Au-delà du Principe de Plaisir,dans notre numéro 185 (Freud et Léonard), pages 29 à 40.

Admirateur, donc, mais admirateur critique, de l’œuvre de Freud.

 

Michel Valtin

 

 

17/05/2012

Inconscient et création littéraire

Inconscient et création littéraire.

 

Inconscient et imagination : source des symptômes et source créatrice.

____

 

(…)

Pour qu’une partie de la vie affective consciente et inconsciente d’un auteur puisse donner naissance à une source de création, ne faut-il pas qu’elle suscite l’imagination ou l’esprit créateur de l’auteur, qu’elle crée en lui non pas simplement un sentiment, mais une conception ?

(…)

Nous avons vu que Freud assimile la faculté créatrice à l’inconscient, et qu’il voudrait ramener une production de la fantaisie à une loi de l’inconscient, et peut-être même, dans le cas de Jensen, à une tendance fétichiste.

Mais la source d’un symptôme serait-elle la même chose que la source d’une œuvre littéraire ?

 

2. La création littéraire est-elle un symptôme ordinaire, ou, par certains aspects, l’inverse d’un symptôme ?

 

Dans la vie affective et intellectuelle de l’auteur, se trouvent quantité d’éléments qui ne se transforment pas en sources de création. Une très grande partie de la correspondance de Baudelaire se rapporte à ses soucis d’argent. Mais, d’après son œuvre seule, comment pourrait-on deviner que c’est un prodigue et un tapeur ? Et si toute la vie affective est source de création, pourquoi n’a-t-il pas écrit de poèmes ou de contes relatifs à la prodigalité, aux dettes, aux créanciers, et au remboursement ou au non-remboursement des sommes empruntées ?

Si l’on considère que le comportement de Baudelaire par rapport à l’argent est un symptôme, ou renferme une série de symptômes, qui lui rendent la vie matérielle et ses rapports avec les autres plus difficiles, révèlent un fonctionnement psychologique perturbé, au moins sur ce point, et ne lui permettent pas de développer son intelligence dans le sens de la compréhension de ces symptômes, certes ce que le poète dit de son comportement dans ses lettres pourrait être comparé à ce que révèlent les patients dans la cure au sujet de leurs symptômes.

Mais Baudelaire développe son intelligence et ses facultés dans tout ce qui se rapporte à l’art et à la création littéraire.

Si l’on définit le symptôme comme tout ce qui relève d’un fonctionnement psychique perturbé, la création littéraire, dans le cas de Baudelaire, ne pourrait-elle pas être considérée comme l’inverse d’un symptôme ? Ce serait, selon Freud, une « production surnormale de compensation ». Ne reste-t-il pas qu’elle est difficilement comparable à un symptôme ordinaire ?

 

3. Pulsion, et transformation esthétique en source d’inspiration

 

Il convient de répondre à l’objection que les pulsions de l’écrivain auraient une certaine importance dans sa création. Par exemple, Baudelaire exprimerait sa pulsion agressive aussi bien dans Le Vin de l’Assassin que lorsque, selon ses dires, il lui est arrivé, dans un moment de colère, de frapper Jeanne Duval avec une chaise. Seulement, n’y a-t-il pas quelque différence, pour prendre un autre exemple, entre tirer des coups de pistolet sur son petit camarade, comme l’a fait Verlaine en état d’ivresse, et écrire un poème ? Le travail de l’imagination se réduirait-il à la seule passion ?

Certains m’objecteraient qu’à l’expression de la pulsion, l’écrivain rajoute dans son œuvre une élaboration esthétique. Mais la source de cette élaboration esthétique ne se trouve-t-elle pas dans l’esprit créateur ? et non pas dans la pulsion agressive elle-même, qui ne s’exprime que dans des actes ou des propos qui relèvent aussi peu de l’art que ceux du patient dans la cure, ou de l’être humain dans la vie ordinaire ? Comme l’a fort bien vu Baudelaire, ce n’est pas la passion, mais l’imagination qui se trouve à la source de la création poétique. Lorsqu’il écrit une œuvre, la tendance agressive du poète, en passant dans son esprit créateur, a subi une transformation. Ainsi, la passion s’exprime directement dans la vie ordinaire, et, lorsqu’elle s’est transformée en imagination, elle s’exprime indirectement, dans un autre domaine, celui de l’esprit et de la création artistique.

Dans la source d’inspiration, la transformation de la pulsion en force créatrice s’est déjà produite. Il convient donc de distinguer la source d’inspiration de ce que Freud appelle « la source ».

Comme nous l’avons vu dans le sous-chapitre précédent, une partie seulement des pulsions peut se transformer en force créatrice.

La question de la source d’une œuvre a donc un tout autre sens que la source des propos du patient dans la cure psychanalytique. Dans l’esprit du romancier, la source d’une œuvre particulière naît de sa vie affective consciente et inconsciente, de sa culture personnelle et de son esprit. Mais il semble qu’elle ne deviennesource qu’à partir du moment où elle suscite l’esprit créateur pour une œuvre.

(…)

 

Michel Valtin

23/02/2012

Faculté créatrice et jugement

Faculté créatrice et jugement

 

Faculté créatrice et jugement dans la création littéraire et artistique. Critique de la conception de Freud

(extrait d’un livre en préparation).

 

CHAPITRE TROISIÈME

 

L’expression de l’inconscient et la tolérance de la conscience sont-elles la même chose que la faculté productrice et le jugement de l’écrivain ?

 

(…)

2. La conscience dans la cure, et le jugement dans la création artistique

 

Refouler ou tolérer, serait-ce la seule fonction de la conscience, non pas seulement lors de l’expression de l’inconscient dans la cure, mais encore au cours de la création romanesque ?

D’autres ont bien vu que, dans la création littéraire ou artistique, la conscience exerce un jugement sur les productions de l’imagination. Par exemple, Nietzsche écrit :

« En vérité, l’imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; (…) »

Bien entendu, dans le cas d’un véritable artiste, il s’agit non pas d’un jugement d’ordre moral, mais d’un jugement d’ordre esthétique. La conscience de l’artiste n’exerce pas une fonction de censure morale ou pseudo-morale, comme celle des patients dans la cure. Serait-il nécessaire de renvoyer aux œuvres de Baudelaire ou de Shakespeare ?

Nietzsche poursuit :

« on voit ainsi aujourd’hui, par les Carnets de Beethoven, qu’il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d’esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s’en remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ; mais c’est un bas niveau que celui de l’improvisation artistique au regard de l’idée choisie avec peine et sérieux pour une œuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s’agissait d’inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d’arranger. » (Humain, trop humain, IV. De l’âme des artistes et des écrivains, 155. Croyance à l’inspiration).

Le jugement esthétique du grand artiste est critique pour tout ce qui n’est pas suffisamment élaboré du point de vue de l’art. Ce jugement semble très différent de ce que Freud considère comme « la conscience » du patient dans la cure.

L’importance que Nietzsche attribue au jugement conscient serait-elle excessive ? Freud écrit dans le septième chapitre de L’Interprétation des Rêves :

« Nous ne sommes vraisemblablement que trop enclins à surestimer le caractère conscient, même s’agissant de la production intellectuelle et artistique. Pourtant, les communications de quelques hommes hautement productifs comme Goethe et Helmoltz nous apprennent plutôt que ce qu’il y a d’essentiel et de nouveau dans leurs créations leur fut donné sur le mode de l’idée incidente et parvint presque achevé à leur perception. Le concours de l’activité consciente dans d’autres cas n’a rien de déconcertant, là où était présente une contention de toutes les facultés mentales. »

Seulement, n’y a-t-il eu aucun concours de l’activité consciente dans les cas que Freud cite ? L’activité consciente n’a-t-elle pas reconnu la valeur de ce qui a été prétendument donné ? Et ce don ne devrait-il absolument rien à une activité consciente antérieure, ni à la conscience préalable de certaines données ? Freud note d’autre part que le don est parvenu « presque achevé » à la perception. L’activité consciente a donc prêté son concours pour conduire le don à l’achèvement.

« Mais c’est le privilège, prêtant à beaucoup d’abus, poursuit Freud, de l’activité consciente que de se permettre de masquer à nos yeux toutes les autres, où qu’elle intervienne. »

Toutefois, dans les cas que Freud cite, la conscience ne semble pas avoir masqué les découvertes ou les trouvailles, puisqu’elle les a reconnues comme telles. Elle n’a pas masqué non plus, pour Goethe ou Helmoltz, le mode de production de ces découvertes.

Sans le caractère conscient du jugement, comment serait-il possible de reconnaître l’idée importante ? Dans ce cas, ne choisirait-on pas, au contraire, n’importe quelle erreur ?

Ne faut-il pas tenir compte de la qualité de la conscience et du jugement ? La conscience nous masque-t-elle toujours complètement la réalité ? Ne diffère-t-elle pas selon les individus ? Et, dans le même individu, ne diffère-t-elle pas selon les aspects qu’elle considère, ainsi que selon la période et le moment où cet individu se trouve ?

Enfin, ne conviendrait-il pas de remarquer que Freud n’accorde que de courtes remarques à la production intellectuelle et artistique, alors qu’il traite à fond des questions relatives aux rêves ?

Ainsi, Nietzsche n’a pas tort, et il a même tout à fait raison, de mettre en évidence, dans la production intellectuelle et artistique, l’importance d’un bon jugement.

 

Notons que Baudelaire, et ce point de vue est peut-être encore meilleur, accorde à l’imagination non seulement, comme Nietzsche, la fonction de production, mais aussi et surtout celle de conscience et de jugement : « la sensibilité de l’imagination est d’une autre nature ; elle sait choisir, juger, comparer, fuir ceci, rechercher cela, rapidement, spontanément. » (Théophile Gautier)

Lorsqu’elle choisit, juge, compare, l’imagination ne précède pas toute production, mais au contraire elle agit après une production primitive. Lorsqu’elle fuit ceci, recherche cela, elle s’oriente vers une nouvelle production.

Selon Nietzsche, le jugement ne précède pas la production de l’imagination, mais au contraire opère tri et mise en forme après une première production.

 

Freud nous montre en somme des ratés de la « conscience ». La conscience est trompeuse, à cause de la censure. Et c’est le psychanalyste qui acquiert ou est censé acquérir la véritable conscience, et qui essaie de la transmettre à son patient.

Mais est-il vrai qu’il n’y a que des ratés de la conscience ?

Ce n’est pas évident du tout. Pour Nietzsche et Baudelaire, le jugement du grand écrivain ou du grand artiste ferait les bons choix, au moins dans le domaine de l’esthétique.

Et s’il n’existait jamais que des ratés de la conscience, comment Freud lui-même aurait-il pu découvrir l’inconscient ? Il faut bien, si toutefois nous prétendons réussir parfois à marcher vers davantage de lumière, que la conscience s’aperçoive d’un inconscient, ou que ce qui était inconscient parvienne à la conscience.

(…)

 

Michel Valtin

 

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