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09/08/2011

Freud et la Gradiva de Jensen

 

Freud et la Gradiva de Jensen. Entre le psychanalyste et le romancier, des désaccords de détail ? (extraits)

 

Dans son petit essai sur la Gradiva de Jensen, Freud avait estimé possible une récusation globale de ses interprétations par le romancier.

Cette récusation ne s’est pas produite, puisque Jensen, dans sa première lettre à Freud, lui répond :

« Certes, cette petite narration n’avait pas « rêvé » de se voir l’objet d’un jugement et d’un éloge formulés à partir du point de vue psychiatrique, et il vous arrive en effet, ça et là, de lui prêter des intentions que l’auteur n’a pas eues à l’esprit, du moins consciemment. Dans l’ensemble, cepen­dant, pour l’essentiel, je peux convenir avec vous sans restriction que votre écrit est allé au fond des intentions de mon petit livre et leur a rendu justice. »

Dès lors, il ne saurait être question de contester en bloc l’interprétation de Freud. Il reste à examiner si, sur des points que Jensen semble considérer comme secondaires, Freud aurait révélé certaines intentions inconscientes de l’auteur, ou si au contraire, il lui aurait attribué des intentions qui ne se trouvent pas dans la nouvelle, et ne viendraient que de l’interprète.

 

I

 

Extrait du chapitre : Quelques études sur

la Gradiva de Jensen

 

 

Dans le chapitre intitulé Résumer, interpréter (Gra­diva) de Quatre romans analytiques, éditions Galilée, 1973), Sarah Kofman critique la sélection que Freud effectue, dans la nouvelle, des éléments qu’il retient pour son inter­prétation. Dès le résumé, que Freud présente comme fidèle au texte de Jensen, certaines déformations et certaines transformations sont perceptibles. « La visée explicative du résumé, écrit Sarah Kofman, se marque par un certain nombre de « digressions » destinées à suppléer à l’absence d’explication de l’auteur et à éclairer la conduite des héros. » Elle note par exemple une « longue digression sur le refoulement et son mécanisme où sont invoqués tour à tour comme confirmation de la description de Jensen, certaines représentations picturales, en particulier celle de Félicien Rops, et un cas pathologique appartenant à l’expérience clinique de Freud. » Le fondateur de la psychanalyse ne se contente pas de rajouter certains éléments à la nouvelle de Jensen, il en laisse d’autres de côté. « Ainsi, remarque Sarah Kofman, il « oublie » que Jensen explique pourquoi Norbert a refoulé sa vie amoureuse : dès l’enfance, il était prédestiné à suivre la tradition familiale, la trace du père. » L’auteur propose une lecture qui tienne compte « de la totalité du texte ». « Celle-ci permet de comprendre, écrit-elle, mieux que le fait le résumé, pourquoi Norbert est un enterré vivant : la tradition familiale a coupé les ailes de son désir, l’a, tel le canari, mis en cage dès la naissance. Traduit en langage analytique : Norbert est né castré. Curieusement, Freud néglige un certain nombre d’indications allant dans ce sens. » Selon Sarah Kofman, « l’interprétation de Freud est une réécriture du texte de Jensen, un nouveau jeu, un nouveau roman, même si c’est l’auteur qui, dans une certaine mesure, a fourni le texte et le commentaire. »

Certains éléments interprétés dans Délires et Rêves dans la Gradiva de Jensen ne proviendraient-ils donc que de Freud ? A la suite de Sarah Kofman, nous allons nous efforcer d’éclaircir cette question.

 

II

 

Freud et Jensen : deux langages différents.

Le « roman freudien » de l’artiste et du poète,

et la peinture, par Jensen, de certains savants.

 

(…)

 

1. Le refoulement, la capacité à résoudre les énigmes, et les deux passions, successivement dominantes, de Norbert Hanold.

 

(…)

 

2. Poésie et névrose, ou science et névrose ?

 

(…)

Quant à Hanold lui-même, la science ou, du moins, une certaine façon de considérer la science comme la seule chose importante dans la vie, n’aurait-elle pas contribué à faire de lui un névrosé ?

Certes, il n’est pas entièrement responsable de son illusion. Freud se contente de mentionner « la tradition familiale ». Pourquoi ne rétablirions-nous pas les mots mêmes de Jensen ?

« Il n’était pas venu au monde, il n’avait pas grandi dans la liberté de la nature, mais à dire vrai dès sa naissance il s’était trouvé bouclé derrière les barreaux d’une grille, celle dont l’avait entouré la tradition familiale, l’éducation et la préparation à l’avenir auquel il était destiné par avance. »

Freud donne de cette phrase une version très édulcorée : « la tradition familiale l’a destiné à l’archéo­logie » !

« Depuis sa plus tendre enfance, poursuit Jensen, il n’y avait jamais eu le moindre doute dans le cercle familial sur ceci : en tant que fils unique d’un professeur d’université spécialiste de l’Antiquité, il était appelé à exercer plus tard la même activité pour maintenir l’éclat du nom paternel, voire l’augmenter si possible ; et prendre la succession dans ce métier lui était apparu, pour l’organisation de son avenir, comme un devoir qui allait de soi. »

Nous reviendrons dans un autre chapitre sur ce passage important. Notons que l’éducation et la préparation psychologique à laquelle Norbert Hanold a été soumis par le cercle familial, semble avoir réussi pour le but qu’elle se proposait, puisque le rejeton est devenu, très jeune, un brillant professeur d’université, spécialiste de l’Antiquité. Seule­ment, cette préparation psychologique menée par le cercle familial a oublié ou négligé de tenir compte de l’affectivité de Norbert Hanold.

(…)

(Pages 8-9)

 

Effectivement, il semble que, pour Jensen, le comportement de Norbert Hanold à l’égard des jeunes filles ne s’explique pas du tout par une prédisposition innée, puisqu’au contraire, le romancier fait ressortir, dans l’intérêt exclusif que Norbert porte à l’archéologie, l’influence de l’éducation et de la préparation psychologique qu’il a subies.

Mais Freud ne semble pas remarquer nettement que ce qu’il appelle les « besoins fantastiques » et « érotiques » de Norbert Hanold renvoient, pour Jensen, à la nature et à une prédisposition innée :

« Mais, peut-être dans une intention bienveillante, la nature lui avait en supplément mis dans le sang une sorte de compensation qui n’avait rien à voir avec la science, et dont il ne savait même pas qu’il était pourvu : une fantaisie extraordinairement vive, (…) »

Pour Freud, les besoins érotiques de Norbert Hanold renvoient avant tout à son enfance :

« Nous découvrons aussi par la suite que dans son enfance, Norbert Hanold ne se tenait pas à l’écart des autres enfants ; à cette époque, il entretenait une amitié d’enfance avec une petite fille, (…) » Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question.

Quelques pages plus loin, Freud écrit encore :

« Notre auteur a omis les motifs dont découle le refoulement de la vie amoureuse chez son héros ; l’activité scientifique n’est en effet que le moyen dont se sert le refoulement ». Freud assigne au refoulement d’autres causes.

Mais qu’en est-il pour Jensen ? N’a-t-il pas donné certaines indications importantes destinées à rendre crédible le comportement de Norbert à l’égard des jeunes filles ? indications que Freud semble avoir négligées, ou voulu négliger.

Pour Freud, l’activité scientifique, qui semble être quelque chose de pur, ne saurait être considérée comme une des causes du refoulement ou du délire de Norbert Hanold. Les causes du refoulement sont à rechercher dans une morale étroite, à laquelle Freud oppose ses découvertes, qui, selon lui, relèvent de la science.

Mais, pour Jensen, l’activité scientifique de Norbert, à qui la nature (« die Natur ») a mis dans le sang (« ins Blut ») une fantaisie extraordinairement vive, « qui ne lui rendait pas l’esprit spécialement propre à effectuer des recherches selon une méthode objective et rigoureuse », n’est-elle pas la conséquence de l’éducation et de la préparation psychologique à une science tout à fait impure, puisqu’elle est au service de l’honneur familial ? Et donc, en dernière analyse, pour Jensen, le comportement maladif de Norbert Hanold ne serait-il pas la conséquence de l’environnement social ? Nous reviendrons sur ce point.

(…)

(Pages 12-13)

 

3. Zoé et le dessin.

 

De ce que, dans certaines conditions, une certaine façon de considérer la science puisse contribuer à provoquer un délire, Jensen ne tire pas de conclusions générales.

Au moins le père de Zoé a-t-il gardé sa science et sa névrose pour lui, et n’a pas voulu rendre sa fille semblable à lui-même.

Dans ces deux familles de savants, la seule personne saine, Zoé, se livre à un art, le dessin ; sans doute comme simple passe-temps, elle semble d’ailleurs s’intéresser davantage à Norbert Hanold qu’aux arts graphiques.

Quant à Norbert, sa fantaisie extrêmement vive l’amène certes à opposer à la science son rêve qui relève de l’âme, de l’affectivité ou du cœur, mais rien ne nous laisse penser qu’il possède l’imagination créatrice d’un véritable poète ou d’un véritable artiste. S’il croit voir dans les esquisses de Zoé l’expression d’un « talent artistique hors de l’ordinaire », ce n’est apparemment pas en raison de sa propre compétence exceptionnelle dans le domaine de l’art, mais tout simplement parce qu’il est amoureux de Zoé, et qu’il l’idéalise :

« Un être possédant tant de « chic », au sens noble du terme, qu’elle manifestait dans sa façon de se tenir et d’agir, il n’avait jamais eu l’occasion d’en voir », songe-t-il un peu plus loin.

(…)

(Page 14)

 

4. Conclusion : les différences de langage de Freud et de Jensen ne sont pas dépourvues de signification.

 

Les différences que nous avons constatées entre le langage de Freud et celui de Jensen ne sont pas dépourvues de signification : elles révèlent que leurs conceptions sont différentes, au moins sur certains points. (…)

 

Michel VALTIN

Extraits de

 

LA PETITE REVUE DE L’INDISCIPLINE

Numéro 189. Été 2011.

Voir le sommaire et les informations pratiques dans l’ « A propos » (en haut à gauche sur ce blog).

 

 

 

 

Qu'est-ce que le don artistique?

Qu’est-ce que le don artistique ?

(Critique des conceptions de Freud),

essai de Michel Valtin, extraits d’un livre à paraître.

 

Présentation (Maurice Hénaud)

 

Parmi les psychanalystes, l’un de ceux qui reconnaissent le mieux que Freud a pu, dans une certaine mesure, se tromper au sujet de Léonard de Vinci, de l’art, et peut-être même au sujet de la création littéraire et artistique, nous semble être (à Michel Valtin et à moi-même) Jean-Bertrand Pontalis. Dans sa préface (L’Attrait des Oiseaux), celui-ci écrit à propos du souvenir d’enfance de Léonard :

« Quelle joie ce dut être pour Freud de mettre la main sur ce souvenir, joie qui alla, j’y reviendrai tout à l’heure, jusqu’à lui brouiller la vue ! »

Plus loin, en analysant le travail de Schapiro sur Léonard et Freud, Pontalis s’interroge ainsi au sujet du livre de ce dernier :

« On en vient à se demander si ce qui fut d’abord salué comme « un tour de force » n’était pas un exercice d’illusionniste victime de sa propre illusion. » (…)

Pourrait-il paraître prétentieux de contester les conceptions de Freud relatives au don artistique ?

Prétentieux, comment pourrions-nous l’être, puisque, dans Sigmund Freud présenté par lui-même, le fondateur de la psychanalyse déclare :

« l’analyse ne peut rien dire qui éclaire le problème du don artistique » ? 

Si Freud n’a rien dit d’éclairant sur cette question, pourrait-il être prétentieux d’en dire quelque chose ? Ou bien le don artistique serait-il « si mystérieux », qu’il serait de toute façon présomptueux de vouloir en dire quelque chose d’éclairant ?

(Pages 2-3)

 

Maurice HÉNAUD

 

Première partie :

 

Le don artistique, don inné, ou fruit d’un développement ?

____

 

1 - Don artistique et don pour l’analyse de l’âme

 

(…)

Admettons que Freud ait en partie raison d’affirmer, dans la conclusion d’Un Souvenir d’Enfance de Léonard de Vinci : 

« Le partage, dans ce qui détermine notre vie, entre les “nécessités” de notre constitution et les “hasards” de notre enfance peut bien être encore incertain dans le détail ; mais dans l’ensemble, il ne subsiste aucun doute quant à l’importance de nos premières années d’enfance. »

Il n’en reste pas moins que le développement intellectuel et créateur de Léonard ne saurait se réduire à des inhibitions et des conflits qui tireraient leur origine de la petite enfance.

(…)

(page 6)

 

 

2 - Nécessité de l’esthétique et d’une psychologie de la création artistique

 

(…)

Mais comment peut-on savoir si le don artistique et la capacité de réalisation sont en rapport intime avec la sublimation, si l’on ne sait même pas ce qu’est « le don artistique », et si les expressions « capacité de réalisation » et « sublimation » renvoient à des phénomènes et à des processus qui ne sont pas assez clairement définis ? Et en quoi « l’aptitude à la sublimation », supposée par Freud, se distingue-t-elle du don artistique ou de l’aptitude à la création artistique ?

Si l’essence de la réalisation artistique est, comme Freud le reconnaît, inaccessible par la psychanalyse, n’existerait-il pas, pour cette dernière, une frontière de ce côté, de même qu’il en existe une (que Freud reconnaît) du côté de l’investigation biologique ? L’étude de la réalisation esthétique, et même du don artistique, ne relèverait-elle pas, en partie du moins, de l’esthétique et de la psychologie de l’invention et de la création ?

(pages 7-8)

 

3 - Le développement du don artistique, variable selon les créateurs considérés

 

Existe-t-il un don artistique dans l’absolu ? Ce que Freud appelle « le don artistique » n’est-il pas plutôt relatif à tel ou tel créateur, à tel ou tel artiste, à tel ou tel poète ? S’agit-il d’un don unique et spécifique, comme Freud le prétend ? « De l’obscure période de l’enfance, écrit-il, Léonard surgit devant nous artiste, peintre et sculpteur, en vertu d’un don spécifique (…). » (Un souvenir d’Enfance de Léonard de Vinci, chapitre VI). Le don artistique ne serait-il pas plutôt la résultante d’un certain nombre de facultés ?

Par « don artistique », faut-il désigner la facilité avec laquelle l’artiste travaille, même si le résultat n’est pas extraordinaire ? Ou bien, au contraire, la capacité à créer des chefs d’œuvre, même si c’est au prix d’un labeur long et difficile ?

(…)

Pourquoi Hugo et non un autre ? Baudelaire l’expli­que par un don inné :

« Victor Hugo, écrit-il, était, dès le principe, l’homme le plus doué, le plus visiblement élu pour exprimer par la poésie ce que j’appellerai le mystère de la vie. » etc.

Alors, pourquoi le génie de Hugo a-t-il mis si longtemps à se manifester ?

La réponse est analogue à celle que j’ai donnée dans le cas de Freud : le génie de Hugo est le résultat d’une série d’expériences vécues et de découvertes intellectuelles. Il lui a fallu, en particulier, lire et relire, parmi beaucoup d’autres auteurs, Chateau­briand, Chénier, Lamartine, Walter Scott, Shakespeare, les poètes orientaux (voir les Notes des Orientales, publiées en 1829), etc. L’auteur des Odes était encore englué dans le classicisme finissant. C’est avec les Ballades et Les Orientales, à partir de 1825, mais surtout à partir de 1827 et 1828, que Victor Hugo conquiert son génie de poète.

(page 10)

 

4 - L’importance essentielle de l’environnement dans le développement des facultés de l’individu

 

Bien que le don artistique apparaisse comme le fruit d’un développement, ne comporterait-il pas, tout de même, quelque chose d’inné ?

« Mais avant toute chose, écrit Baudelaire dans ses Notes nouvelles sur Edgar Poe, je dois dire que la part étant faite au poëte naturel, à l’innéité, Poe en faisait une à la science, au travail et à l’analyse, qui paraîtra exorbitante aux orgueilleux non érudits. »

Mais qu’est-ce que ce poète naturel ? N’a-t-il donc, auparavant, jamais lu les poètes, la nature lui a-t-elle accordé le don d’écrire en vers avant même qu’il n’ait su ce qu’est un mot, une phrase, une syllabe, un rythme et une rime ? Par conséquent, le poète dit naturel n’est pas absolument inné, il est déjà le fruit du développement de certaines facultés, développement qui s’est produit grâce à des apports extérieurs, et en interaction avec ces apports extérieurs.

Goethe lui-même reconnaît l’importance essentielle de l’environnement dans le développement des facultés de l’individu, si originales qu’elles soient :

« On parle toujours d’originalité, remarque-t-il, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Dès notre naissance l’univers commence à influer sur nous et cela continue jusqu’à la fin. Et d’ailleurs, que pouvons-nous appeler « nôtre », si ce n’est l’énergie, la force, la volonté ? Si je pouvais dire tout ce que je dois à mes prédécesseurs, il ne me resterait pas grand-chose. » (Eckermann, Conversations avec Goethe, Jeudi 12 mai 1825).

Que serait-il resté à Goethe, s’il avait grandi dans un environnement tout autre ? Il lui serait resté des virtualités qui ne se seraient jamais exprimées, ou qui auraient abouti à des résultat différents.

(pages 11-12)

 

5 - Désir, expérience et sources d’inspiration

 

(…)

Le comportement politique de Victor Hugo serait-il réductible à la petite enfance ? N’y a-t-il pas toute une expérience humaine et toute une évolution intellectuelle, entre la révolte, réelle ou supposée, de l’enfant contre le père, et la critique ou la satire de l’Empereur et des Rois ? Pourquoi sa production littéraire serait-elle entièrement déterminée par sa petite enfance ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi en irait-il tout à fait autrement pour la production artistique et scientifique de Léonard de Vinci ?

Il convient de remarquer que les sources d’inspiration sont relatives à chaque poète. Pourquoi est-ce principalement l’amour, la Nature, Dieu, l’Humanité chez Lamartine ? Pourquoi les sources d’inspiration sont-elles étroites chez Mallarmé, beaucoup plus vastes dans le cas de Hugo, encore plus vastes dans le cas de Shakespeare ? Faut-il l’expliquer par un don spécifique à chaque fois différent ? Ou ne conviendrait-il pas, plutôt, de chercher à expliquer la formation de l’esprit créateur, dans chaque cas considéré, par une histoire psychologique particulière ?

(pages 13-14)

 

6 - (Ce chapitre ne fait pas partie des extraits donnés ici)

 

7 - La genèse des dons poétiques : le cas de Goethe

 

(…)

 

*

 

L’étude du développement de Goethe enfant semble montrer, d’abord, qu’il n’a pas développé un don spécifique (comme, selon Freud, l’aurait fait Léonard de Vinci), dans lequel on pourrait reconnaître le don poétique, mais des dons multiples, relatifs en particulier à la vision du monde, à la conception et au langage.

Ensuite, cette étude semble montrer l’importance de l’intérêt que Goethe a porté au spectacle du monde et de l’ensemble de la vie. Ne serait-il pas très exagéré de dire qu’il s’est détourné de la réalité pour s’intéresser à ses rêveries ?

Le cas de Goethe ne devrait-il pas nous amener à douter que l’artiste est quelqu’un qui se détourne de la réalité, et qui, grâce à l’art, échappe à la névrose ? La question sera examinée de manière plus précise dans le premier chapitre de notre seconde partie.

D’autre part, ne faudrait-il pas distinguer deux sortes de rêveries, l’une qui se rapporte à la réalité et à l’expérience, dans laquelle l’intelligence tient une part importante, et l’autre qui, purement sentimentale, tient peu compte de la réalité ?

Enfin, il semble que les dons artistiques, de même que les autres dons constatés chez l’adolescent ou l’adulte, ne puissent pas s’expliquer uniquement par la prédisposition génétique et l’importance de nos premières années d’enfance, et qu’ils se laissent mieux comprendre si l’on tient compte de l’exercice, du plaisir pris à l’exercice, et du renforcement qu’ils entraînent.

(pages 18-19)

 

*

Seconde partie :

 

Création artistique et vie de rêverie

 

 

1. L’artiste est-il fondamentalement quelqu’un qui, comme le névrosé, s’est détourné de la réalité ?

 

(…)

Freud affirme que « l’artiste n’est certes pas le seul à mener une vie de rêverie » et que, « comme tout autre insatisfait, il se détourne de la réalité effective et transfère tout son intérêt, sa libido, elle aussi, sur les formations de souhait de sa vie de rêverie, à partir desquelles la voie pourrait conduire à la névrose ». 

Dans ces conditions, la vie de rêverie n’est pas ce qui caractérise essentiellement l’artiste.

(…)

(Page 20)

 

(…)

Ce que Freud appelle la rêverie n’est, pour l’artiste véritable, qu’un aspect du monde. « Je suis un homme pour qui le monde extérieur existe », affirme Théophile Gautier. Et Pouchkine, Goethe et d’autres grands poètes l’ont dit : « La première étude à laquelle l’homme qui veut être poète doit s’attacher est de rendre le monde extérieur. »

La vie de rêverie est-elle le seul domaine du poète ? Ne doit-il pas, par l’expérience et l’étude, s’efforcer de voir et de rendre le vaste spectacle du monde ? « Aussi longtemps, dit Goethe, que le poète « n’exprime que ses quelques sentiments personnels, on ne peut dire qu’il soit poète ; il l’est quand il sait faire sien le monde et qu’il sait l’exprimer. » etc. (Eckermann, Conversations avec Goethe, 29 janvier 1826).

(…)

 

*

 

Dans Malaise dans la Civilisation, après avoir cité un quatrain de Goethe, Freud note :

« Et il est bien permis de pousser un soupir quand on s’aperçoit qu’il est ainsi donné à certains hommes de faire surgir, véritablement, sans aucune peine, les connaissances les plus profondes du tourbillon de leurs propres sentiments, alors que nous autres, pour y parvenir, devons nous frayer la voie en tâtonnant sans relâche au milieu de la plus cruelle incertitude. »

Faut-il tenir pour si peu de chose, l’expérience, les études et l’esprit de Goethe, et estimer que ses productions poétiques ont simplement surgi du « tourbillon de ses propres sentiments » ?

(Pages 22-23)

(…)

 

 

 

2. Le désir de l’artiste en tant qu’artiste.

 

(…)

 

Conclusion de la deuxième partie

 

(…)

Extraits de

 

LA PETITE REVUE DE L’INDISCIPLINE

Numéro 173. Avril 2009.

Voir le sommaire et les informations pratiques dans l’ « A propos » (en haut à gauche sur ce blog).

 

Freud, le créateur littéraire et la rêverie

QU’EST-CE QUE LE DON ARTISTIQUE ?

 

(critique des conceptions de Freud), II

 

Troisième partie

 

Freud, le Créateur littéraire et la Rêverie

____

 

1 - Rêve diurne et création littéraire.

 

(…)

Mais l’évolution postérieure de l’écrivain ne se limite pas à progresser dans la maîtrise de la forme artistique, elle concerne aussi sa conception du monde : Goethe s’aperçoit que lui et ses camarades se perdaient trop volontiers dans leurs rêves. « Alors, écrit-il plus loin, nous reconnûmes une fois de plus qu’au lieu de s’abandonner à la mollesse et aux plaisirs de l’imagination, on aurait lieu, plutôt, de s’endurcir pour supporter les maux inévitables ou pour réagir contre eux. » (Poésie et Vérité, première partie, livre II).

Il semble que ces éléments nouveaux qui interviennent dans l’évolution de l’écrivain ne soient pas des éléments de rêve diurne.

(…)

(Page 4)

 

2 - Le cœur et l’imagination.

 

(…)

 

3 - Analyse des émotions que provoquent

les œuvres littéraires

 

(…)

 

4 - L’application à l’art de schémas

tirés de la psychanalyse

 

(…)

 

5 - La jouissance propre de l’œuvre littéraire

relève de l’esthétique.

 

(…)

 

6 - Psychologie de certains lecteurs

 

(…)

 

7 - L’œuvre d’art, ou l’enfance retrouvée ?

 

(…)

 

8 - Développement de l’intelligence artistique et « épanouissement de l’être ».

 

« De l’obscure période de l’enfance, écrit Freud dans le dernier chapitre d’Un Souvenir d’Enfance de Léonard de Vinci, Léonard surgit devant nous artiste, peintre et sculpteur, en vertu d’un don spécifique, qui pourrait bien avoir été renforcé par l’éveil précoce, dans les premières années d’enfance, de la pulsion de regarder. », etc. Léonard aurait-il sublimé sa pulsion voyeuriste dans le dessin ? Mais que sublime le musicien, lorsqu’il s’intéresse au chant des oiseaux ?

Si Léonard paraît, à Freud, surgir devant lui, dès l’adolescence, artiste, peintre et sculpteur, n’est-ce pas le résultat de tout un développement intellectuel, auquel Freud n’a pas assisté ?

Freud semble ne pas tenir compte de ce dévelop­pement intellectuel, lorsque, dans son dernier chapitre, il écrit à propos de Léonard :

« L’épanouissement de son être à la puberté, qui en fit un artiste (…) »

Les artistes naissent-ils comme les fleurs au printemps ? Et ne conviendrait-il pas de distinguer des réalisations artistiques déterminées, d’une part, et, d’autre part, un hypothétique « épanouissement de l’être » ? Les Poèmes saturniens, de Verlaine, renferment des réussites poétiques incontestables. Quant à l’épanouissement de l’être, c’est autre chose, et l’on pourrait se demander, au contraire, si l’être du jeune auteur ne manifeste pas des symptômes de ruine (voir en particulier Les Sages d’autrefois…, L’Angoisse, Grotesques, Jésuitisme, et le second Nevermore).

Sans doute, dans le cas de Verlaine, cette ruine de l’être joue-t-elle un rôle dans le développement des facultés poétiques, elle devient une source d’inspiration pour l’esprit. Mais faut-il confondre complètement le développement de l’intelligence artistique  avec « l’épanouissement de l’être » ?

(Pages 19-20)

 

9 - Les facultés d’observation se réduisent-elles à la rêverie ?

 

(…)

Quelle place Freud laisse-t-il aux facultés d’observation ? Il s’efforce de les réduire à la rêverie : « Le roman psychologique doit sans doute dans l’ensemble sa particularité à la tendance du créateur littéraire moderne à scinder son moi en moi partiels, par l’effet de l’observation de soi ; et par voie de conséquence, à personnifier les courants conflictuels de sa vie psychique en plusieurs héros. » Mais, dans la vie courante, le romancier n’a-t-il pas pu remarquer aussi, qu’il était entouré de personnes différentes, qui s’opposaient les unes aux autres de manière conflictuelle, et qui, à l’intérieur d’elles-mêmes, héber-geaient des conflits ? Et n’a-t-il pas cherché à dépeindre le monde, plutôt qu’à découper son Moi comme un gâteau, pour en présenter les diverses parties aux lecteurs ?

(…)

(Page 22)

 

10 - « L’universellement humain » et l’esthétique. « Motions pulsionnelles » et sources d’inspiration.

 

(…)

Il convient de remarquer, par exemple, que les passions que Shakespeare dépeint dans son œuvre sont des passions bien particulières : la jalousie folle d’Othello, la passion de l’autorité qui aveugle le Roi Lear, la fierté amoureuse de Posthumus, la misanthropie de Timon, etc. Ce qu’il y a d’universellement humain dans Shakespeare, serait-ce la passion elle-même ? Et, encore une fois, Margot aurait-elle raison d’égaler dans son cœur Roméo et Juliette et le plus mauvais mélodrame, parce que leur matière est l’amour ?

« Je suis homme, et je pense que rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » C’est-à-dire non pas que la passion de Werther doit être aussi la mienne, et que je dois me brûler la cervelle, mais que cette passion peut dire quelque chose à mon esprit, et que je peux essayer de la comprendre, même si, à moi personnellement, Werther me paraît tout de même un peu fou.

Shakespeare n’aurait-il pas, au contraire de ce que semblerait penser Freud, atteint l’universalité par le regard qu’il a porté sur la passion, par la représentation qu’il en a donnée, par l’esprit qui anime ses compositions ? Ce serait donc à cause de ses qualités littéraires, c’est-à-dire esthétiques, que, génération après génération, les vrais amateurs de littérature liraient et reliraient Shakespeare ?

(…)

(Pages 26-27)

 

11 - Shakespeare, créateur par l’Imagination

 

(…)

 

12 - Conclusion de la troisième partie

 

(…)

 

_______

 

Conclusions générales

 

1 - L’apport de la psychanalyse à l’étude de la création artistique. Dans quelle mesure les hypothèses de Freud conviennent-elles ?

 

(…)

A la fin du chapitre IV de Sigmund Freud présenté par lui-même, le fondateur de la psychanalyse écrit :

« Si le rêve est bâti comme un symptôme, si son explication nécessite les mêmes hypothèses, à savoir le refoulement de motions pulsionnelles, les formations de substitutions et de compromis, et les différents systèmes psychiques qui abritent le conscient et l’inconscient, alors la psychanalyse n’est plus une science auxiliaire de la psychopathologie, alors elle est bien plutôt l’instauration d’une psychologie nouvelle et plus approfondie, qui devient également indispensable pour la compréhension du normal. On est autorisé à étendre ses présupposés et ses résultats à d’autres domaines de l’activité psychique et intellectuelle ; la route du lointain, de l’intérêt universel, lui est ouverte. »

Seulement, il nous est tout de même possible d’examiner (et nous avons commencé à le faire) si, dans le domaine de la création artistique, et sur certains points, les hypothèses de Freud, trop étroites, ne l’ont pas conduit dans des impasses.

(Pages 32-33)

 

2 - UnSouvenir d’Enfance de Léonard de Vinci : Freud partiellement contesté par certains psychanalystes.

 

(…)

 

Michel VALTIN

Extraits de

 

LA PETITE REVUE DE L’INDISCIPLINE

Numéro 177. Novembre 2009.

Voir le sommaire et les informations pratiques dans l’ « A propos » (en haut à gauche sur ce blog).

 

______